(contexte : la fin des opérations gratuites et du modèle freemium associé).
Bonjour à tous,
Voici la conséquence d'un point de lucidité parfaitement inopiné, qui s'est brusquement imposé comme un retour de bâton, sans prévenir - et que nous avons à coeur de partager, conformes à notre habituelle logique de transparence vis-à-vis de notre communauté.
Il n'en était pas moins fatal puisque nous sommes contraints de repositionner le studio TV cafeine.tv et d'interrompre nos programmes collaboratifs en modèle freemium, pour nous concentrer sur des travaux audiovisuels de commande rémunérés d'emblée.
L'expérimention n'a pas abouti sur une forme viable de modèle impliquant des étapes initiales gratuites.
Nous avons passé des mois et des mois à expérimenter interviews & talkshows pour des centaines et même des milliers de pros, dans une logique d'échange reprenant les codes de l'économie collaborative et de l'innovation ouverte appliqués au B2B.
Nous avons tout tenté pour essayer de trouver un modèle viable, en espérant transcender la crise des médias en France. Nous avons réussi à générer du revenu, mais pas suffisamment pour maintenir le nécessaire niveau d'investissement qui correspondait à la poursuite d'un modèle plus ambitieux (histoire de développer une véritable entreprise et pas juste un petit business).
Les médias nous apparaissent comme noyés dans le bruit et la fureur des médias sociaux, et ne survivent généralement, pour les plus historiques, qu'en complétant leurs modèles économiques par des subventions. Très peu ont le juste positionnement leur permettant de dégager durablement de la valeur.
Il est d'ailleurs temps, soit dit en passant et pour dépasser notre sujet, que le public ouvre les yeux sur la gravité de la situation qui les prive progressivement chaque jour un peu plus, de supports véritablement libres, indépendants, citoyens.
Nous pensions quant à nous que le collaboratif était une bonne alternative.
Il le fut parfois et quelques jolies réussites nous avaient permis d'espérer.
Mais les mentalités ne sont pas prêtes encore.
Contraitement à ce que j'ai personnellement vécu au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, dans nos écosystèmes franchouillards le retour d'ascenseur est de l'ordre du zéro pointé - honte à nous autres latins : nous n'avons pas le dixième de la fibre du partage arborée par nos cousins anglo-saxons (et je pèse mes mots - CQFD sur le thème de l'échange, qui ne fonctionne pas ici).
C'est un vrai problème culturel.
Nous sommes le pays de l'arrogance aggravée par un déni généralisé (si ce n'est une symptomatique fusmisterie) sur le thème de la reconnaissance de la valeur des contenus. Ils sont pourtant cruciaux pour affirmer la valeur et le point de vue de la marque, la puissance de l'expertise et de son adaptabilité.
Nous voulons bien consommer les contenus de qualité, en soutenir une partie par nos suffrages et parfois même nos souscriptions payantes, mais les places sont très limitées pour en laisser émerger de nouveaux.
Les blogueurs sont quant à eux d'un côté les fossoyeurs du métier d'éditeur tant ils sont souvent pertinents. Sur presque tous les sujets, quand on sait rechercher les meilleurs articles, on trouve toujours des perles en abondance. Mais d'un l'autre côté, il s'agit surtout d'une race émergente de bisounours si passionnés qu'ils en deviennent les nouveaux forçats de l'info. À force de ne pouvoir abandonner leur passion et de développer une sorte de dépendance à ce don de soi tant leur réputationnel en dépend.
C'est ce dont beaucoup de marques abusent, sans qu'aucune voix ne s'élève devant la réalité de ces occupations précaires, du fait notamment qu'ils soient encore, pour un temps du moins, si "hypes" en apparence (autre stimulant d'une motivation au long cours).
Ceux qui font bon usage de leur productions sont ceux qui les exploitent astucieusement à des fins de prestige réputationnel en adéquation avec un modèle économique, mais quant à en faire un business en soi, nous savions depuis 2009 que c'était impossible, du moins pas durablement.
Une fantastique aubaine que de flatter l'égo de ces écrivains publics en les qualifiant d' "influenceurs" pour toute rémunération.
Nous avons quant à nous commis le tort, j'ai commis le tort, d'espérer faire prendre en France, comme une greffe improbable, un vécu outre-Atlantique où l'éditorial est presque sacré et où les entreprises sont habituées à le valoriser.
Résultat : notre propre capacité à générer des contenus de qualité est minée par la faiblesse de nos moyens et ce marché reste structuré par de petites offres atomisées dans tous les sens, et trop peu d'offres de valeur durable.
Croyant diviser pour mieux régner, les entreprises négocient désormais pour leurs créations audiovisuelles, textuelles, des budgets indignants. Cela fait partie du jeu économique, il faudra certes se réinventer. Mais pour le moment cela fait fuir les talents et ne laisse que les bidouilleurs, ou encore ceux qui n'ont pas d'autre alternative qu'essayer de tenir le coup pour tenter d'autres modèles - ce qui fut notre cas pendant un temps.
Résultat, des contenus émis par les entreprises toujours aussi convenus, comme une forme de schyzophrénie à l'heure où les médias sociaux semblaient favoriser l'émergence d'un ton, d'un style moins policés.
Trop peu de voix authentiques.
On s'ennuie, les visions captivantes sont rares. Dans le grand public, on voit de même émerger et triompher des sites algorythmiques générant de médiocres contenus portés par une actualité épidermique, et conçus pour le référencement. Et donc pour la pub et l'invasion de techniques constamment renouvelées de bannières, tracking, etc.
Nous avons ainsi échoué quant à nous, malgré des années de ténacité, à créer ce cercle vertueux que nous espérions tant, pour amener une communauté d'experts à se réapproprier quelques espaces web pour en faire de véritables carrefours vivants de la connaissance, sans excès de marketing intrusif.
Je ne dis pas ça pour régler des comptes pardonnez-m'en, mais trop de pros parmi nos invités se comportent comme des divas décérébrées, persuadées de n'avoir été invitées que pour leur indispensable charisme, totalement oublieuses de cette idée très simple : qu'il s'agit d'un échange, d'une amorce de collaboration, de découverte mutuelle. A force de n'être injustement perçus qu'au titre de médias en mal de contenus, à notre tour nous ne pouvons les considérer autrement qu'en indigentes divas en mal d'audience.
Moralité : la rencontre n'a jamais vraiment lieu, le "mismatch" est total.
Le sous-jacent humaniste, certes quelque peu idéaliste, mais si nécessaire au milieu du bruit 2.0 ambiant et parfois si brutal, est complètement écrasé. Et c'est ainsi qu'ils usèrent notre patience par leurs discours promotionnels convenus, par leurs absences conjuguées d'écoute, et de vision :
Parce qu'une vision, un discours de marque vivant, ça se travaille et ça se construit avec des pros.
Trop de gens croient encore que les médias sociaux sont un alibi pour produire du contenu spontanément médiocre, puisque le moteur semble à tort être celui de la spontanéité.
Nous testions une approche collavorative dans le but d'amener des pros à partager leurs idées en amont, à s'approprier un média, à faire émerger des talents et des visions. C'est la bonne préparation "en soi" qui nous semblait le meilleur des alibis pour construire quelque chose d'intéressant.
Nous espérions fort naïvement voir ainsi surgir de bonnes idées, mais en plus de révéler la traditionnelle radinerie des entreprises françaises, les contenus furent le plus souvent frappés d'indigence - car malgré de rares fulgurances nous portons la lourde et ingrate responsabilité de ce constat d'échec.
En toute transparence voici donc mon propre ressenti sur la coproduction collaborative, et de manière générale les séminaires d'entreprises et autres ramdam des pseudo intellectuels du management :
je n'ai personnellement plus du tout la force de m'intéresser à ces discours creux sans être payé très cher pour ça,
car je l'ai trop longtemps fait gratuitement en comptant sur la dynamique de l'échange, et j'ai été assez stupide pour m'y accrocher longtemps, notamment aussi parce que je n'avais pas financièrement la possibilité de m'évader hors de cette entreprise dont il me fallait amortir les investissements initiaux.
Question de valeurs aussi, jouer les capitaines fier-à-bras qui choisissent de couler avec le navire, jusqu'au-boutiste. Au moins n'ai-je pas à rougir de ma ténacité.
Ce modèle que j'ai créé, je l'ai testé à l'étranger et c'est aussi cela qui m'a rendu naïf.
Il est somme toute inadapté à la France (en UK j'en retirais un bien meilleur retour) - pour être plus clair et en toute transparence je fais quant à moi un burn out assez profond, auquel je tente de résister depuis des mois, peut-être des années, en espérant qu'il passe tout seul.
Tenter le "collaboratif", et combiner à l'indigence du discours des entreprises, leur empressement assez pathétique à abuser de ce qu'ils n'ont eu de cesse d'interprêter à juste titre comme un média web en mal de dynamique, pour lui imposer de constantes expérimentations à bas budget, tout cela m'a psychologiquement usé.
J'ai pris le temps de vous écrire eu égard à la qualité de nos échanges avec une partie non négligeable de la communauté.
Navré donc, cafeine.tv n'existera plus sous cette forme : il n'y aura plus d'invitations gratuites, ni d'interviews ou talkshows TV offerts avec des pros venant de façon très hasardeuse nous bassiner avec leur discours promotionnels - nous n'aurons plus à supporter la fumisterie de ceux qui repartent en oubliant de dire ne serait-ce que merci par médias sociaux interposés.
Notre si mauvaise appréhension de la "politesse business", qui m'était par ailleurs devenue naturelle, et si parfaitement élémentaire après mes années aux États-Unis, et notre manquement en la latière, justifient à eux seuls la réputation de cuistrerie que nous font là-bas nos partenaires.
La dynamique collaborative est une chose puissante chez les anglo-saxons, eux que nous avons si souvent tendance à juger trop prévisibles, et intellectuellement insuffisants par rapport à nous autres latins cultivés. C'est une immense erreur, ils ont ouvert la voie des médias sociaux et du partage de l'information : nous serons encore très longtemps coincés dans nos radineries et certitudes arrogantes, très loin derrière leur capacité à reconnaître et soutenir les entrepeneurs du web éditorial. Je suis pour ma part acculé à ce constat accablant, auquel j'ai précisément résisté 5 ans de ma vie, depuis 2009.
Il est donc très probable que notre studio TV ne continue que sous la forme de prestations locatives pour divers opérateurs - nous sommes régulièrement sollicités en ce sens, et tant pis pour notre rêve de coproductions amicales et créatives. Entre l'amertume des jaloux et le petit budget sans ambition des décideurs d'entrée-de-gamme, ce projet fort ingénu (mais c'est ce qui faisait son charme, non ?) n'a pas survécu.
Notre temps est désormais intégralement facturable.
Ainsi sonne le glas d'une époque et de ses généreuses expérimentations.
cafeine.tv, techtoc.tv, HRchannel.com etc. : toutes les communautés de notre réseau survivront et se développeront, mais sans l'âme que j'ai, dans ma fascination béate pour le 2.0, tenté de leur insuffler.
Il n'y aura désormais de contenus qualitatifs que pour ceux qui voudront bien se payer notre expérience au juste prix pour entendre notre approche critique du brand content.
Notre expertise s'est élaborée au prix de cette claque salutaire.
Trop d'entreprises imbues de leurs petites routines marketing, clament sans vergogne, haut et fort, à qui veut l'entendre, que "oui bien sûr, nous avons adopté les codes du 2.0". En fait, c'est toujours aussi top-down qu'avant : arrêtons de rêver. C'est juste un peu plus hypocrite.
En forme de punition qui en tant que telle je l'avoue, manque ouvertement d'humilité, il était ainsi fatal que nous décidions un beau jour de priver l'écosystème des initiatives gratuites et conviviales de cette webTV.
Certains d'entre vous l'avaient d'ailleurs pressenti bien avant moi, je les avais entendus mais je suis sciemment resté calfeutré dans la spirale addictive et l'aveuglement optimiste de l'engagement entrepreneurial.
Cette ivresse peut-être l'avez-vous connue, c'est une vision qui donne envie de se lever le matin et de se coucher tard le soir - ce feu sacré, les entrepreneurs sont de bien tristes bipèdes désorientés quand ils ne l'ont plus.
Nous avons tout tenté, et n'avons pas à en rougir : les plus actifs et généreux d'entre vous non plus.
Qu'il me soit donc permis de les remercier du fond du coeur.
Bonne suite à vous.